Véronique de Soultrait

À force d’entrelacer le fil de ses pensées et ses cordes des plus nuancées ; à force d’entrecroiser les pratiques tissées à tâtons et les techniques d’antan, Véronique de Soultrait a su concilier le geste de l’artisan à cette promesse artistique de cultiver le ravissant.

C’est depuis son atelier lyonnais qu’elle désamorce le déjà-vu par des reliefs et des rendus aussi bien inspirés par le magnétisme de la spirale que par la rectitude de Mondrian. Des décorations murales, des parois, des portes et des claustras qui ont su séduire les architectes d’intérieur et des designers, et que l’instinctive exporte à présent là où le luxe se ravitaille : des rives de Paris aux grands restaurants du littoral,
de Shangaï à Dubaï – « ce n’est pas parce que je vise la simplicité que je cède à la  facilité : je ne suis pas la seule à travailler ce matériau, mais je le fais à ma façon, en me fichant d’être pionnière ou inventrice. » 

Et si, à chaque commande, la crainte des attentes ne manque jamais d’imprimer son empreinte, Véronique sait pouvoir compter sur son sens de la composition, elle qui a toujours trouvé son équilibre entre l’héritage d’un nom à particule et ce désir de s’en soustraire sans scrupule. Car à l’image de son père qui assumait son titre de Comte tout en s’activant en « gentleman farmer » – « ses mains étaient abîmées, comme passées à la machine agricole » –, Véronique intégra les codes de la Haute sans en devenir totalement son hôte. Il y avait certes le fabuleux château de famille bourbonnais où sommeille encore une enfance qui faisait son entrée sous un trio d’arcades à l’italienne, flânant dans le grand parc où se ramassaient les bouquets de cyclamens. 

Mais les velléités de l’hypersensible résonnaient aussi sous la bâtisse de style Renaissance ; l’adolescente déjà prompte à « couper les cheveux en quatre » opposait le dessin, la peinture et les expéditions littéraires, à cet avenir que le protocole souhaitait aussi restreint que linéaire – « tout ce qu’on espérait pour moi, c’était que je rencontre un mari dans un rallye, et que je fasse une école de secrétariat. L’imaginaire était mon évasion, mon refuge ! J’ai fini par passer le concours des Beaux-Arts en douce. Après cela, j’ai vécu cinq ans de rigolade, de rencontres farfelues et de bonheur absolu. »

C’est depuis son atelier lyonnais qu’elle désamorce le déjà-vu par des reliefs et des rendus aussi bien inspirés par le magnétisme de la spirale que par la rectitude de Mondrian.

Véronique se forgea dès lors une connaissance des disciplines, des courants et de leur histoire, tout en s’agrippant à cette mentalité punk rock qui faisait l’époque, à cette manière qu’elle entretient de « ruer dans les brancards », et de mêler la science de la convenance à celle de la contredanse ; entre courtoisie et grivoiserie, entre les cantates de Purcell et les arpèges de Jimmy Page :

 « Pour les bourgeois, je suis une anar, et pour les anars, je suis une bourgeoise ! C’est pareil dans mes créations : à la corde, je peux ajouter du fil d’or, de la ficelle de cuisine ou bien du caoutchouc. Mon but, c’est d’apporter du beau, mais aussi d’être où on ne m’attend pas, jouer avec les choses graves, n’être jamais complètement dans un bord ou dans l’autre. »

Avant que sa vocation s’accorde aux bonnes vibrations de la corde et qu’elle lance son entreprise – « je fais ce métier parce que je sais le faire, que je dois le faire, et qu’en plus, on me demande de le faire » –, Véronique officia plus de quinze ans en tant que peintre-décorateur. Elle affûta sa vigilance et son souci du détail en restituant la splendeur d’œuvres sur lesquelles le temps a fait le sien. Exténuée par les chantiers de restauration, l’attention de la « gourmande de tout » se porta sur la retape d’objets en crochet et macramé ; un travail pour lequel elle fut d’ailleurs acclamée : « Je reteignais, et transformais en coussins et plaids luxueux, des objets de crochet ancien trouvés dans les brocantes. Lors d’un salon, un représentant d’une enseigne new-yorkaise m’a pris toute la collection d’un coup ! »

la corde devient une matière d’ornementation sur laquelle projeter toutes les possibilités. Les recherches à la confluence de la marqueterie, de la passementerie, du tressage et de la broderie, mènent ainsi toujours au résultat escompté, sous l’heureux patronage de la sérendipité

Le besoin de retrouver une liberté créative s’imposa toutefois comme un motif décisif pour que Véronique revienne au support mural et au tableau décoratif. Voilà qu’elle enrichit le travail traditionnel de la maille en l’appliquant à la corde, réinventant à l’envi les approches et les méthodes, au service d’une esthétique sans excès ni ostentation : rythmes inspirés de l’abstraction géométrique, monochromes qui apaisent et soulagent, pièces uniques issues d’un savant métissage – « J’aime ce qui est très manuel, et apporter à ce travail une part de légèreté, d’improvisation. Compte tenu du cœur, de la rigueur et de l’investissement que nous mettons dans chaque réalisation, nous n’avons pas besoin de construire des discours ou des concepts prétentieux à nos clients et à nos partenaires. »


Entre les doigts de Véronique et de son équipe, la corde devient une matière d’ornementation sur laquelle projeter toutes les possibilités. Les recherches à la confluence de la marqueterie, de la passementerie, du tressage et de la broderie, mènent ainsi toujours au résultat escompté, sous l’heureux patronage de la sérendipité : « Nous expérimentons énormément, sans utiliser beaucoup d’outils. Et nous avons surtout développé des petits secrets pour assurer la pérennité de nos ouvrages ! En tout cas, c’est toujours une grande émotion de partir d’un petit échantillon, et de voir s’ériger une porte de trois mètres pensée par Laura Gonzalez pour une boutique Cartier. C’est comme un musicien qui crée une petite mélodie dans son coin, et qui la découvre chantée à l’opéra : c’est très intimidant ! »

La créatrice se réjouit peut-être d’évoluer aux côtés d’une agente des plus engagées et de voir sa signature franchir les frontières, c’est encore entre les murs de son atelier qu’elle se sent la plus à l’aise : dans cet univers personnalisé par des poteries, des mots d’amis, et des grès chinés ici et là ; par des « tas de trucs ethniques » rapportés dans ses cabas, et des échantillons à foison en corde de coton, de chanvre ou d’abaca. Alors que dans un coin, les casseroles sont prêtes à accueillir des teintures maison déclinées en camaïeux de verts ou de bleus, Véronique colore l’atmosphère par des râgas et autres mantras, et une odeur d’encens la ramenant à cette Inde qui a toujours su l’étreindre. C’est là qu’elle « cocoone » ses réflexions et ses idées délurées, acceptant que la conception prenne plus de temps que la fabrication. 

Rivée sur son large établi et sur ses modèles, il s’agit maintenant d’ordonner tout ce que l’inconscient n’a cessé de solutionner la veille ; à elle désormais d’égrener les heures de création, de désenclaver les choix et cette dextérité qui rendent son art si minutieux : 

« À ce moment précis, je ne peux pas rêver mieux. »